par Antonio Di Lalla, Québec, Canada
La ville de Montréal que nous connaissons doit son origine à un groupe d’hommes et de femmes dévots de la France du XVIIe siècle, dont le rêve était de partager avec les peuples autochtones du Nouveau Monde ce qu’ils considéraient leur bien le plus précieux, leur foi chrétienne. Pour atteindre ce but, ils ont institué en France La Société Notre-Dame de Montréal. 1 Bien que l’entreprise ait été d’inspiration religieuse et que plusieurs membres du clergé y aient participé, il s’agit principalement, de par sa conception et son exécution, d’une entreprise de laïcs, surtout au début. 2 Or, la fondation de Ville-Marie, nom originel de Montréal, est caractérisée par l’importance du rôle joué par certaines grandes dames, dont Jeanne Mance 3 , Marguerite Bourgeoys 4 et Jeanne Le Ber 5 qui, à une époque où l’on questionnait l’intelligence de la femme, vinrent asseoir certaines bases sociales et spirituelles dans la naissante métropole québécoise. Comme la société est constituée de l’ensemble de ses membres, à l’instar de leurs leaders, des dizaines de femmes simples mais héroïques contribuèrent à l’édification de Montréal : Catherine Lorion n’en fut pas la moindre.
Sainte-Soulle était un petit village à quelques lieues et sous l’intendance et l’élection de La Rochelle en Aunis, délimitée au nord par le Marais Poitevin et au sud par la Charente. L’agglomération qui doit son nom à sainte Soline, martyre paléochrétienne du IIIe siècle, prend son origine à l’époque gallo-romaine.
Catherine Lorion voit le jour dans cette bourgade de 335 feux vers 1636, issue du mariage de Mathurin Lorion et de Françoise Morin/Morinet dite Barbier 6. Catherine aura trois sœurs : Marie, née vers 1640 ; Françoise, vers 1643 ; Renée, vers 1646. Les temps sont durs ; le malheur frappe. La Grande Faucheuse n’épargne pas cette humble famille. Le 30 novembre 1647, Renée décède. L’année suivante, c’est Françoise, la mère, qui s’éteint le 6 novembre, laissant trois filles orphelines de mère. Un mois plus tard, le 6 décembre, à l’âge de cinq ans, la petite Françoise quitte les siens. Déchirées par ces deuils, Catherine et Marie, âgées de 12 et 8 ans, partagent leur peine et leur solitude avec Mathurin, leur père.
Le courage aidant, la vie doit reprendre ses droits. Mathurin 7 épouse Jeanne Bizet le 2 mai 1649 à La Rochelle. Une première fille, prénommée Marthe, verra le jour le 14 décembre de la même année. Six autres enfants naîtront de cette union, dont trois seulement survivront à l’enfance : Jeanne, Renée et Jean, l’ancêtre des Lorion d’Amérique.
Fondée en 1642 dans le but de soigner et de convertir les «sauvages», Ville-Marie est continuellement victime des assauts des Iroquois. Leurs attaques atteignent un sommet en 1651. Il ne se passe pas quatre jours sans que les Iroquois réapparaissent, tuant et scalpant les habitants, mettant à feu leur maison. Devant l’opiniâtreté des Iroquois et voyant l’avenir même de Ville-Marie compromis, monsieur de Maisonneuve décide de repasser en France et d’y recruter 200 hommes au moins, si possible, sans cette aide, il ne reviendrait pas, car l’établissement ne pourrait être défendue. 8 Le dessein de M. de Maisonneuve étant de repousser les Iroquois et d’établir solidement la colonie de Ville-Marie, il ne voulut amener que des hommes jeunes, robustes et courageux, tous propres au métier des armes, exerçant un métier utile et nécessaire à la survie de la colonie. Originaires de Picardie, de Champagne, de Normandie, de l’Île-de-France, de Touraine, de Bourgogne, du Maine et de l’Anjou, chirurgiens, meuniers, menuisiers, charpentiers, maçons, armuriers, brasseur de bière, pâtissiers, cordonniers, etc. s’engagèrent pour une durée de trois à cinq ans avec la Compagnie de Montréal pour des montants variant de 60 à 200 livres selon la profession.
Quatorze courageuses jeunes femmes, âgées de 10 à 32 ans accompagnent Marguerite Bourgeoys dans ce périple : Catherine Lorion est l’une d’elles.
Âgée de 17 ans, Catherine part à l’aventure. Elle s’embarque à St-Nazaire, sur le St-Nicolas-de-Nantes le 20 juin 1653 9 avec 102 hommes et 15 femmes 10 11, y compris Marguerite Bourgeoys. La jeune femme laisse derrière elle famille, amis et pays.
La traversée s’avère difficile. Marguerite Bourgeoys relatera quarante ans plus tard dans ses Mémoires :
« À trois cents cinquante lieues de mer, le navire, qui faisait de l’eau plus qu’on n’en pouvait tirer jour et nuit, fut contraint de relâcher à Saint-Nazaire où, en approchant, nous périssions sans le secours que, par la grâce de Dieu, nous eûmes de ce lieu là. […] Monsieur de Maisonneuve fut, avec tous ses soldats, en une île d’où l’on ne pouvait se sauver, car autrement, il n’en serait pas demeurer un seul. Il y en eut même qui se jetèrent à la nage pour se sauver, car ils étaient comme des furieux et croyaient qu’on les menait en perdition.» 12
Enfin radoubé, le Saint-Nicolas de Nantes reprit le large le 20 juillet. Lors de la traversée, six engagés périront ; quatre autres décèderont à Québec, dans les jours suivant leur arrivée 13.
L’allégresse qui éclate chez la cinquantaine de Montréalistes à l’arrivée de cette recrue témoigne de la faiblesse de la bourgade. Ville-Marie, en effet, se voyait dans l’entière impuissance d’augmenter le nombre des colons, n’ayant à offrir à ceux qui avaient le désir de s’établir en Nouvelle-France que les privations inséparables de l’extrême pauvreté qu’on y endurait et les alarmes auxquelles on était exposé sans cesse. On débarque le 16 novembre 1653 ; l’hiver est déjà commencé.
Cette Grande Recrue de 1653 assurera l’avenir même de Montréal et du même coup de la colonie. Pas moins de 22 de ces engagés seront tués par les Iroquois, dont 8 en compagnie de Dollard des Ormeaux à la bataille du Long Sault en 1660. 14
À peine dix ans après sa fondation, Montréal agonise. Les victimes des Iroquois augmentent sans cesse et, au témoignage même du Père Ragueneau, c’est à peine si la colonie compte, tant à l’Hôtel-Dieu qu’au Fort, une cinquantaine de Français : « Les Iroquois menacent notre contrée. Ils font sentir partout leur barbarie (sic) et vont de plus en plus continuant leur rage, non seulement contre les restes (sic) des Algonquins et des Hurons, mais maintenant ils tournent leur fureur contre nos habitations françaises. » 15 C’est en effet sur Ville-Marie que les Iroquois se jettent après leur massacre des bourgades huronnes. C’est là aussi que cette poignée de Montréalistes les attende héroïquement. En 1651, le Père Ragueneau précise : « C’est une merveille que les Français de Ville-Marie n’aient pas été exterminés par les surprises fréquentes des troupes iroquoises qui ont été fortement soutenues et repoussées diverses fois. » 16 L’état de Ville-Marie, en 1653, est désolant, agonisant. Jeanne Mance, elle-même, déplore qu’aucun secours de France n’est venu depuis près de deux ans et que la crainte et l’effroi sont partout dans la colonie naissante. En juillet, trois semaines seulement après une paix conclue entre les Onneiouts et deux nations iroquoises, 600 guerriers agniés marchent sur Ville-Marie, résolus à l’attaquer et à la détruire. Ils attaquent en effet la bourgade, mais ils sont vigoureusement repoussés et n’ont d’autre avantage que de prendre quelques sauvages (sic) et quelques Français qui se trouvent à l’écart. 17 Dollier de Casson, ancien soldat et Sulpicien arrivé à Montréal en 1666, résume ainsi la situation :
«Tous les jours, on ne voyait qu’ennemis ; la nuit, on n’eût pas osé ouvrir sa porte et le jour, on n’eût pas osé aller à quatre pas de sa maison sans avoir son fusil, son épée et son pistolet. Enfin, comme nous diminuions tous les jours et que nos ennemis s’encourageaient par leur grand nombre, chacun vit bien clairement que, s’il ne venait bientôt un puissant secours de France, tout était perdu.» 18
Voilà que dans ces conditions très précaires Catherine Lorion débarque du St-Nicolas-de-Nantes avec les pionniers de La Grande Recrue le 16 novembre 1653. 19 Ces pauvres engagés devront lutter avec courage pour bâtir dans ce Nouveau Monde une vie meilleure pour eux-mêmes et pour leur famille.
À Ville-Marie, la jeune femme loge au Fort parmi la centaine d’habitants, sous la gouverne de Mère Bourgeoys qui la prépare avec ses compagnes de fortune à la rudesse de sa nouvelle vie.
Avec l’arrivée de la Recrue, la bourgade bourdonne d’espoir. Les jeunes gens courtisent avec empressement les belles du jour. La cloche de la chapelle annonce des épousailles. Les mariages se succèdent. Presque toutes les compagnes de voyage de Catherine auront contracté mariage avant la fin de 1654. Le 13 octobre 1654, en présence de Lambert Closse 20, Catherine s’unit à Pierre Vilain. Ville-Marie est en liesse : on forme une société nouvelle : jeune et enthousiaste, malgré les épreuves conjuguées au quotidien.
Le malheur frappe! Quelques mois après son mariage, Pierre Vilain périt écrasé par un arbre. Jeune, veuve, seule, indigente, Catherine doit reprendre à zéro.
Le 29 juin 1655, le sieur de Maisonneuve conduit Catherine au pied de l’autel pour la marier à Jean Simon. À Ville-Marie, le temps se conjugue au futur immédiat. Le 3 septembre 1656, Catherine donne naissance à Léonard, premier fils, étincelle d’espérance dans ce Nouveau Monde, une joie partagée par toute la communauté mariale : Paul de Chomedey, Sieur de Maisonneuve et Jeanne Mance tiennent l’enfant sur les fonts baptismaux ; le parrain est Lambert Closse.
Hélas ! Le bonheur durera peu. Le 24 novembre, à peine deux mois après la naissance du petit, Jean Simon se noie dans le torrentueux fleuve Saint-Laurent. Dix-neuf ans, veuve pour la seconde fois, mère d'un poupon, Catherine doit survivre sans le soutien de sa famille, dans ce pays sauvage et inhospitalier.
Lorsque la vie est constamment menacée, on ne peut se permettre l’apitoiement : la nécessité de survie prime sur toute autre considération. Le 9 avril 1657, Catherine convole en justes noces avec Nicolas Milet dit Le Beauceron, charpentier et scieur de long, engagé de La Grande Recrue de 1653. On réorganise la famille. Le 31 décembre 1657, Nicolas signe une convention avec Lambert Closse, parrain du petit Léonard, afin d’entrer en possession des biens et de la terre délaissés par feu Jean Simon, second époux de Catherine, pour la faire valoir. Il promet en outre de s’occuper du petit jusqu’à ses 12 ans révolus, date à laquelle il lui remettra la somme de 150 livres tournois. De plus, il s’engage à le considérer comme un fils et de le nommer héritier de ses biens acquis avec Catherine au même titre que les demi-frères qui pourraient naître du présent mariage. 21 Le bonheur s’avère encore possible.
En 1658, après un éloignement des siens qui aura duré 5 ans, Mathurin, le père de Catherine, débarque en Nouvelle-France avec son épouse Jeanne Bizet et ses filles Marie, 19 ans, Jeanne, 8 ans, et Renée, âgée de quelques mois. On imagine aisément la joie de notre pionnière de revoir sa sœur Marie, son père, accompagné de sa belle-mère et sa demi-sœur Jeanne, tout en faisant connaissance avec la petite Renée. Mathurin s’installe rapidement, il signera un premier bail d’une durée de trois ans le 23 octobre 1658, pour l’exploitation d’une ferme à Ville-Marie 22. Après quelques années, la famille s’établira sur la Côte Ste-Anne à la Pointe-aux-Trembles, quelques lieues en aval du Fort.
Toute la famille prend racine dans la jeune colonie. Le 9 décembre 1658, Marie, sœur de Catherine, épouse Étienne Lair, engagé de la Grande Recrue. De cette union naîtront dix enfants.
La Nouvelle-France s’avère une terre féconde. Le 25 janvier 1660, on baptise Jean, fils de Mathurin et de Jeanne Bizet, seul des deux fils de Mathurin à survivre à l’enfance et à perpétuer le patronyme Lorion au Québec, aujourd’hui essaimé aux quatre coins de l’Amérique du Nord et, juste retour des choses, même en Europe, dont en Suisse.
Les années défilent. La famille de Nicolas Milet et de Catherine Lorion habite alors la terre voisine de la Ferme-St-Gabriel, métairie de la Congrégation Notre-Dame 23. Huit enfants naissent de cette union : Catherine, Nicolas, Charlotte, Pierre, Jacques, Anonyme, François et Jean. Nouvelles épreuves : Pierre et un nourrisson décèdent en bas âge.
Dans les sociétés de l’Ancien Régime, la défense de l’Honneur s’avère l’avoir le plus précieux que l’on tente jalousement de préserver. Cette valeur justifie bien des emportements et des excès de violence. Femme de caractère, Catherine Lorion n’est pas en reste. Le 11 août 1663, Catherine Lorion est jugée coupable de s’être littéralement jetée sur Louis-Artus de Sailly, marchand et juge royal, de lui avoir lancé des pierres et de l’avoir humilié par d’atroces injures. Elle sera finalement condamnée à demander pardon au sieur Sailly devant une assemblée de personnes choisies par le demandeur, en plus des dépens et de vingt livres d’amende envers l’Église. 24
Gagner sa croûte demeure une occupation constante. Les Montréalais consacrent évidemment beaucoup de leur temps au travail et au développement d’importants réseaux de sociabilité avec leurs partenaires en affaires comme avec leur clientèle. Il n’en demeure pas moins que certains conflits, ayant leur lot de conséquences, prennent naissance ; certains finissent par se retrouver devant les tribunaux. 25
Ainsi, en avril 1667, le soldat François de Cuque ayant été engagé pour arracher les souches sur la terre de Nicolas Milet et de Catherine Lorion se plaint devant la cour que son employeur lui doit quatorze journées de travail. Le demandeur n’ayant pu toutefois en fournir les preuves et le défendeur affirmant lui en devoir que quatre, le bailli condamne Milet à payer quatre journées de travail au soldat. 26
Au recensement de la même année, la famille possède deux bêtes à corne et douze arpents de terre en valeur.
En janvier 1671, Catherine et Nicolas marient leur fille aînée Catherine, âgée de 13 ans, à Jean Reynau dit Planchard. Les Milet, Lorion, Delpué (Renée Lorion), Simon, Reynau dit Planchard seront tous voisins, ce qui illustre les liens serrés tissés entre les membres de la famille, qui s’étale déjà sur quatre générations : Mathurin Lorion, le père ; Catherine Lorion-Simon-Milet, notre héroïne, Catherine Milet-Reynau dit Planchard, la fille ; et les petits-enfants.
Or, le sort frappe à nouveau. Le 8 mars 1674, Nicolas Milet dit Le Beauceron périt dans le brasier qui détruit leur maison 27, deux mois après la naissance de leur huitième enfant, Jean. Veuve pour la troisième fois, sans toit ni fortune, Catherine devra assurer la survivance à sa nombreuse famille.
Le courage de cette aïeule est indéniable. À quarante ans, courageuse et déterminée, survivante, Catherine épouse Pierre Desautels dit Lapointe, tailleur d’habits, veuf de Marie Rémy et père de deux garçons : Joseph, 8 ans et Gabriel, 5 ans. Fait inouï, Catherine aura connu deux de ses quatre maris lors de la traversée sur le St-Nicolas-de-Nantes. Deux fils naîtront de cette dernière union : Pierre et Gilbert, qui assureront une nombreuse postérité.
Les Lorion sont «tricotés serrés». Ils habitent près les uns des autres, s’entraident et se font confiance. Ainsi, le 24 juin 1680, Mathurin Lorion et son épouse Jeanne Bizet font donation de leurs biens à leur fils Jean en échange de quoi ce dernier s’engage à prendre soin d’eux jusqu’à leur décès. Avec le consentement de leur épouse, Pierre Desautels (Catherine) et Étienne Lair (Marie) cèdent, à leur beau-frère Jean Lorion, tous leurs droits de succession pour la somme de 50 livres.
La Nouvelle-France offre tout de même plus de possibilités d’accumuler un petit pécule que sur le Vieux Continent. En 1681, Catherine Lorion et Pierre Desautels possèdent 1 fusil, 5 bêtes à cornes et 18 arpents en valeur. Ils vendent à leur gendre Jean Renaud, au prix de 600 livres, la terre située à la Coulée St-Jean, qui a appartenu à feu Nicolas Milet, troisième mari de Catherine. En outre, ils possèdent aussi une maison sur la rue St-Paul. 28
Le 29 octobre 1681, Léonard, issu du mariage de Catherine et de Jean Simon, prend pour épouse Mathurine Beaujean. Ils s’installeront premier voisin du grand-père Mathurin Lorion, comme quoi on ne s’éloigne jamais de la famille. Le couple donnera naissance à douze enfants. Aventureux, Léonard s’engage dès 1685, à titre de coureur des bois dans l’Ouest canadien, ce qui l’autorise à faire la traite des pelleteries en territoire autochtone. Il s’engagera à quatre reprises, laissant femme, mère et enfants dans l’inquiétude constante d’un accident, car les voyages s’effectuaient en canot d’écorces par rivières et grands lacs, et parce que, à tout moment, le coureur de bois s’exposait à l’attaque d’une tribu autochtone ennemie. On s’imagine aisément les craintes de Catherine qui a déjà subi la perte de trois maris par mort violente.
Doté d’une bonne santé, le patriarche prend tout de même de l’âge. Le 19 avril 1683, Mathurin Lorion, laboureur décède à 80 ans à l’Hôtel-Dieu de Montréal. Père de Catherine, il est l’ancêtre de milliers de Lorion, Laurion, Larion, Dorion et Doran québécois, canadiens et états-uniens. Il aura été marié deux fois et père de 9 filles et de 2 garçons. Le Québec, en particulier, et toute l’Amérique du Nord lui doivent reconnaissance et gratitude.
Ensemble, Catherine et son père auront vécu courageusement les hasards du destin : décès de Françoise Morin et des petites Françoise et Renée, séparation pendant cinq années, retrouvailles en Nouvelle-France, établissement du père près de sa fille à la Pointe-aux-Trembles…
Mathurin laisse dans le deuil son épouse, Jeanne Bizet, ses enfants Catherine, Marie, Renée et Jean ; 22 petits-enfants ; 8 arrière-petits-enfants.
Quatre ans plus tard, Marie Lorion, sœur de Catherine est inhumée au cimetière de Pointe-aux-Trembles. Nées dans un petit village en Aunis, émigrées dans un pays sauvage, ensemble elles auront vécu un nombre considérable d’épreuves et de joies. On imagine aisément l’affection fraternelle qui les liait.
La vie en Nouvelle-France n’offre aucun répit. En 1689, Isaac Lair, fils d’Étienne et de Marie Lorion est tué par les Iroquois.
Le 24 janvier 1690, Nicolas Lair, frère du précédent, part en expédition contre les Iroquois ; craignant le pire, il lègue à son père tous ses biens s’il venait à mourir. Au printemps, Nicolas est tué par les Iroquois en revenant de guerre. 29
Le 2 juillet 1690, Jean Raynau, gendre de Catherine, et Jean Delpué dit Pariseau, époux de sa demi-sœur Renée, participent à une escouade pour combattre un parti d’Iroquois à la Coulée Grou, derrière la Pointe-aux-Trembles. Ils ont le malheur d’être surpris. Delpué est tué au champ d’honneur, alors que Reynau est capturé et conduit chez les Onneouits : il sera brûlé vif ! Sa sépulture aura lieu le 2 novembre 1694, soit quatre ans après sa capture. Il laisse son épouse Catherine Milet, fille aînée de Catherine, sans ressources financières avec 6 orphelins.
Le 27 août 1691, Nicolas Milet, (second fils de Catherine) et son épouse Catherine Chaperon sont faits prisonniers. On imagine l’horreur de l’angoisse vécue par notre pionnière. Heureusement, ces derniers seront relâchés huit jours plus tard 30 .
Catherine aura donné naissance à 9 garçons et 2 filles. En ajoutant Joseph et Gabriel, les deux fils de Pierre qu’elle a accueilli à l’enfance, la charge de la maisonnée s’avéra lourde. Après le départ de ses filles Catherine et Charlotte, le besoin d’aide se fait sentir. Le 22 octobre 1694, le couple engage pour quatre ans Élisabeth Drouet, âgée de dix ans, en promettant de lui donner une vache, au terme de son engagement. 31 Autres temps, autres mœurs!
La solitude guette encore Catherine ; son mari, Pierre Desautels dit Lapointe, décède le 19 novembre 1708 à l’âge de 75 ans. Le couple aura partagé 32 années de vie.
Quatre fois veuve, mère de 11 enfants, Catherine trépasse le 20 avril 1720, à l’âge vénérable, pour l’époque, de quatre-vingt-trois ans. Plus de cent descendants lui survivent : les Simon dit Léonard, Thibault dit Léveillée, Poutré, Milet, Raynaud dit Planchar, Gariépy, Janot, Lacombe, Archambault, Allard, Lécuyer et Desautels dit Lapointe. Évidemment, aucun Lorion.
Le Québec existerait-il sans la valeur de ces femmes courageuses ?
Alors que les femmes arrivées avec la Grande Recrue de 1653 auront en moyenne 7,2 enfants, Catherine Lorion donnera naissance à 11 enfants de ses trois dernières unions.
Pour ces pionnières, on dénombre en moyenne une quarantaine de petits-enfants et 250 arrière-petits-enfants ; on dénombrera pour Catherine 71 petits-enfants, 492 arrière-petits-enfants et 1535 arrière-arrière-petits-enfants nés avant 1766. 1061 parmi ses descendants seront mariés avant 1800.
Contrairement à ses consoeurs de la Grande Recrue, avant 1800, les descendants de Catherine Lorion habiteront presque en totalité dans la région montréalaise.
Pour l’ensemble des 29 colons de la Grande recrue de 1653, on peut fixer le nombre de leurs descendants au Québec à quelque 650 000, dont 130 000 à Montréal.
L’âge moyen au décès des pionnières de la Grande Recrue est de 65 ans. Catherine Lorion s’éteindra à 83 ans.
À son décès en 1720, Catherine comptait 102 descendants vivants : 8 enfants, 49 petits-enfants, 45 arrière petits-enfants.33
Plus d’une quinzaine de générations de descendants Lorion ont habité le Grand-Montréal depuis l’arrivée de Catherine, dont mes petits-enfants, 12e génération par ma mère Cécile Laurion, 15e génération par mon épouse Marie-Thérèse Besner. Dès lors, c’est avec joie que je rends hommage à l’une des mères de notre peuple.
Fait d’intérêt, Catherine Lorion inspira un personnage principal du roman d’André Charbonneau Mystère à Ville-Marie, publié chez Fides en 2002. Je tiens cependant à souligner le caractère fictif de cette œuvre.
Antonio Di Lalla,
descendant de Mathurin Lorion, neveu à la 9e génération de Catherine Lorion. Otterburn Park, Québec, août 2004