Par Daniel et Marie Laurion - mars 2006
Euclide Laurion Québec - Canada
Euclide Laurion est né le 18 Novembre 1923 à St-Eugène de Grantham. Il est le fils de Henri Welley Laurion et Exilia Gelinas.
2ème enfant de ce couple, il a 8 frères et sœurs : Marie, Isidore, Rita, Fernande, Florence, Lise, Gilles et Lucille. Son enfance se passe à Montréal du côté de Côte des Neiges.
Le 23 octobre 1946, il se marie avec Jeannette Foisy. De cette union naîtront 2 enfants : Yves en 1948 et Daniel en 1955.
En 1970, il se sépare de sa femme et va régulièrement chez son frère Gilles. Durant de nombreuses années, ils partagent le plaisir de voyager ensemble, de sortir, de s’amuser tout simplement. Une des passions d’Euclide Laurion est la peinture. Il est généreux et apprécie la compagnie des autres.
Euclide Laurion en voyage en Floride 1976
Il entre chez Atlas Asbestos en 1948. Cette petite compagnie de la rue Hochelaga, propriété d’une multinationale britannique, utilise de l’amiante qui provoque des inflammations aux poumons se transformant en amiantose et en cancer. A l’époque où la poussière d’amiante flottait partout, les ouvriers ne savaient pas qu’ils travaillaient dans des conditions dangereuses et plusieurs sont rapidement condamnés.
Atteint dans sa santé, Euclide Laurion milite afin que son entreprise reconnaisse sa responsabilité. Son combat contre cette maladie est une très grande épreuve pour lui. Le soutien inconditionnel de sa belle-sœur Huguette et de ses enfants l’aide énormément. On ne compte plus le nombre de visites et de séances de chimiothérapie à l’hôpital Hôtel Dieu de Montréal ainsi qu’à l’hôpital Maisonneuve-Rosement de Montréal.
Euclide Laurion doit même se promener avec un petit « respirateur » portatif afin de pouvoir rapidement respirer de l’oxygène lorsque qu’il en manque.
Il n’a même pas la possibilité d’être opéré car comme il le dit :
«Les poumons, c’est ce qu’il y a de plus important. Lorsque tu vas pour te faire opérer, on te fait souffler dans une baloune. Si t’es pas capable de souffler, on a trop peur. Moi on m’a dit, si on t’opère, t’as 90% de chance d’y rester….. ».
En 1972, la Commission des accidents de travail reconnaît officiellement son amiantose et lui verse $163 par mois.
Malgré cela, on l’oblige à travailler jusqu’en mars 1977. La loi 52, qui retire les mineurs des mines d’amiante pour ne pas les condamner davantage, ne s’occupe pas des employés d’usines de transformation d’amiante. Gravement malades, les «amiantosés » d’usine doivent demeurer à leur emploi jusqu’à ce que, si l’on peut dire ainsi, « mort s’ensuive ».
Ils sont 122 avec plusieurs années d’ancienneté à souffrir de cette affreuse maladie des poumons et à être plus ou moins invalides.
Ce sont, et ils le savent, des morts en sursis, mais ils veulent vivre dans la dignité les années qu’ils leur restent à vivre.
Euclide Laurion ne peut plus travailler. Il a, par-dessus le marché, perdu son indemnisation « d’amiantose ». En effet, en septembre 1978, à l’hôpital du Sacré-Cœur, on lui a dit qu’il « se pourrait » que les troubles pulmonaires évidents et qui l’invalident soient dus à une autre cause que l’amiante. En conséquence, il n’a plus qu’une pension d’invalide de la Régie des rentes ($263 par mois) et, pour trente ans de service à la compagnie (28 ans et 6 mois en fait, la compagnie refusant de reconnaître son absence pour cause de maladie), que $64 par mois.
Ce qui lui fait $80 par semaine et aucune possibilité de retrouver du travail.
Ironie du sort, Euclide Laurion reçoit un certificat pour ses 25 ans de service chez Atlas Asbestos. Cette reconnaissance ne lui redonne pas la santé…..
Une centaine de collègues d’Euclide Laurion sont dans le même cas. La compagnie ne leur verse quasiment pas de pension. La plupart ont dit qu’ils se contenteraient de $150 par semaine…
La révolte gronde….
« S’ils pensent qu’on va s’asseoir avec notre caisse de bière, ils se trompent. Dans notre état, on ne peut pratiquement rien manger, ni même dormir. Nous devons prendre un sirop spécial à toutes les deux ou trois heures. Finies, les longues nuits de sommeil. »
« Nous, on ne lutte pas pour nous. On lutte pour les jeunes qui vont entrer. On reconnaît que c’est bien moins dangereux que dans notre temps, qu’on a aéré, qu’on prend des précautions, même si c’est probablement pas suffisant »
« Mais nous, on est finis, on peut plus travailler, on sait qu’on ne durera peut-être pas longtemps. On demande à cette compagnie pour laquelle on a œuvré 15, 20 ou 30 ans, de nous donner une pension raisonnable, disons $ 150 par semaine, pour aller finir nos jours en paix. C’est-y trop demandé à une millionnaire qui a fait des profits aux dépens de notre santé ? »
Peu avant la grève, la compagnie avait tenté d’offrir la paix à ses « amiantosés » $780 brut par mois « couvrant tout », c'est-à-dire interdiction d’avoir un autre emploi, pas d’assurance-chômage, incluant les indemnités de la CAT, et surtout un montant fixe et non indexé. Après réflexion, ils ont refusé.
La maladie a «gagné»…. Euclide Laurion est décédé le 29 janvier 1980 à l’hôpital Maisonneuve de Montréal. Son acharnement à faire reconnaître la responsabilité d’Atlas Asbestos ainsi qu’un article paru le 28 novembre 1978 dans la Presse de Montréal ont permis un déblocage du dossier et la reconnaissance de son invalidité à 100’%. Son combat n’a pas été vain car après sa mort, la succession a reçu quelques milliers de dollars de la Commission des accidents de travail. Malheureusement il n’a pas vécu assez longtemps pour en profiter.
Selon une étude datant de 1997, l'amiante sera certainement à l'origine de 50 000 à 60 000 décès dans les 20 prochaines années, chiffres auxquels il convient d'ajouter celui du nombre des victimes de pathologies liées à l'amiante qui, sans être mortelles, créent d'importants préjudices pour les personnes affectées. L'amiante représente aujourd'hui un des plus grands drames de santé au travail.
St-Bruno - Québec / Blonay- Suisse, 2005